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Financement : le spleen des start-up (Jeune afrique)

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Le Maghreb peut-il s’imposer comme une terre d’innovation ? À en croire la réussite insolente des parcs technologiques d’El-Ghazala en Tunisie ou de Casablanca au Maroc, créés sur le modèle de la Silicon Valley californienne, on serait tenté de le croire. « Nous sommes réellement sur une tendance positive en matière de création d’entreprises innovantes, estime un financier qui parcourt le Maghreb. Il y a de plus en plus de bons projets, portés principalement par des entrepreneurs formés ou ayant travaillé en Occident. » Une évolution de bon augure pour une région où la création d’emplois qualifiés est une nécessité absolue.

À Rabat, Alger et Tunis, l’essentiel de l’innovation se concentre aujourd’hui dans le domaine de l’internet, des technologies de l’information, des logiciels… Mais d’autres secteurs commencent à percer : la biopharmacie, notamment, s’annonce comme un créneau porteur, surtout en Tunisie, alors que le Maroc pourrait être porté par l’émergence de start-up dans le secteur des technologies vertes.

Pourtant, loin des beaux discours, la réalité du terrain semble aujourd’hui ne pas être à la hauteur des espérances. « La recherche de financements est difficile », se lamente Sami Abid, patron de Graphjet Technology, qui vient de recevoir un prix spécial du jury lors du concours méditerranéen d’entreprises innovantes MedVentures, organisé début décembre à Marseille. « Il n’y a pas réellement d’investisseurs en Tunisie pour financer l’innovation », ajoute-t-il.

Capital-risque au ralenti

Il faut dire que l’exercice est périlleux : selon des données mondiales, 90 % des entreprises innovantes finiront en faillite. Toutes, au moins pendant les deux à trois premières années de leur existence, perdront beaucoup d’argent. Du coup, les financiers ne se bousculent pas vraiment au portillon des start-up maghrébines.

Au Maroc, où l’activité est la plus développée, le bilan est maigre. Deux fonds sont réellement spécialisés dans le financement des jeunes entreprises innovantes : Dayam, créé en 2008 dans le giron du groupe Saham et doté pour l’instant de 2 millions d’euros, et Maroc Numéric, un fonds de 10 millions d’euros créé récemment dans le cadre de l’initiative nationale Maroc Numéric 2013. Le capital-risque est le parent pauvre de l’investissement : « 6,6 milliards de dirhams [environ 590 millions d’euros, NDLR] ont été levés pour le capital-investissement en général, et seulement 150 millions pour le capital-risque », rappelle Khalil Azzouzi, directeur général du fonds Dayam.

En Algérie, la situation est pire : il n’y a rien. En Tunisie, pas grand-chose, les financiers préférant concentrer leurs investissements sur les entreprises déjà rentables. Outre Alternative Capital Partners, la Société d’assistance et de gestion des fonds d’essaimage (Sages Capital) est l’un des rares acteurs sur le créneau en Tunisie, avec son tout jeune fonds In’Tech, doté de près de 30 millions d’euros et actuellement en phase d’investissement.

« Une loi de mars 2009 permet de déduire de son assiette imposable l’intégralité de sa souscription dans un FCPR [fonds commun de placement à risque, qui investit dans des entreprises privées non cotées], sous certaines conditions, explique Mehdi Hammar, responsable FCPR chez Sages Capital. Cela devrait favoriser aussi les fonds d’innovation. » Et offrir un peu d’espoir aux entrepreneurs.

« Certes, il y a un peu d’argent disponible désormais, mais les investisseurs ne comprennent pas grand-chose à l’innovation, explique un créateur d’entreprise tunisien. Ils ne savent valoriser que l’immobilier, les stocks, l’existant, et ne parviennent pas à donner une véritable valeur financière à l’innovation, qui, par essence, reste immatérielle jusqu’à ce qu’elle se transforme en chiffre d’affaires sonnant et trébuchant. »

Sami Abid le confirme en d’autres termes : « Nous recherchons 3,2 millions d’euros, mais je ne reçois aucune proposition viable, déplore le patron de Graphjet Technology. Les financiers ne valorisent pas à sa juste valeur notre innovation technologique [une technique de gravure en 3D, NDLR], qui a pourtant été estimée par des experts entre 4 millions et 7 millions d’euros. »

Manque d’accompagnement

Du côté des financiers, le ton n’est guère plus optimiste. En cause cette fois : la faiblesse de l’écosystème entourant l’innovation au Maghreb. Certes, de beaux parcs technologiques ont été créés dans la région, avec plus ou moins de succès (le cyberparc de Sidi Abdellah, près d’Alger, est presque vide). Des associations commencent à proposer un accompagnement pour permettre aux porteurs de projet de bâtir leurs plans d’affaires stratégiques et les orienter dans les dédales de la création d’entreprise. Mais l’innovation doit s’inscrire dans un cadre plus global mêlant accompagnement, accès aux financements, labellisation, avantages fiscaux, émulation et implication des grandes entreprises…

« Nous nous battons pour que soient mises en place des incitations à la fois pour les bailleurs de fonds et pour les entreprises innovantes, explique Khalil Azzouzi, du fonds Dayam. Les souscripteurs pourraient avoir des avantages fiscaux ou financiers spécifiques pour le capital-risque. Et les entreprises innovantes pourraient être exonérées de taxes fiscales pendant plusieurs années ou bénéficier d’un crédit d’impôt lié à la recherche. » De quoi permettre aux entrepreneurs de se concentrer sur les développements stratégiques plutôt que d’arpenter les forums internationaux à la recherche de fonds.

« Il faut reconnaître qu’il n’y a pas d’aides spécifiques de l’État pour la création d’entreprises innovantes », regrette Mohammed Fadili, fondateur d’Ajiel, une start-up marocaine créatrice d’un logiciel de gestion des ressources humaines en ligne pour les PME.

Parmi les autres pistes de réflexion pour les gouvernements maghrébins figurent la création d’un label dédié aux entreprises innovantes, auquel seraient attachés un certain nombre d’avantages, ou encore le développement d’une institution financière permettant de garantir en partie les investissements réalisés dans les start-up.

« Les États seraient bien inspirés d’inciter les grandes entreprises à financer les jeunes pousses, et les grands patrons à devenir des business angels en investissant leur propre argent dans des activités innovantes plutôt que dans l’immobilier », estime un consultant en innovation. Le potentiel est là, mais le chemin reste long.